« Ma vie est formidable »

Alain K ne cherche pas à être le témoin de sa propre vie. S’il est vrai que sa pratique artistique est engagée dans une attention permanente portée sur son quotidien, elle se déploie sans le filet de protection du photographe confortablement retranché derrière l’appareil. Alain K nous montre un quotidien sans mise en scène où sa présence physique est toujours perceptible autrement qu’en terme de « regard qui décide » de ce qui sera cadré ou pas, choisi, photographié, retenu pour une hypothétique postérité. Sans narcissisme aucun, il se situe en tant qu’acteur de ce quotidien que ce soit dans ses films (Laissez moi danser, film)où lorsqu’il photographie systématiquement son ombre portée sur les écrans des galeries(Ombres de moi même, diaporama). D’autres films révèlent alors sa présence, tout comme les visages croisés sur ses photographies, prises la plupart du temps lors de fêtes et de sorties entre amis, dessinent en creux une vie qualifiée avec humour de « formidable » (Ma vie est formidable, diaporama). L’extrême qualité de ce travail est bien dans un premier temps sa capacité à transfigurer le banal, pour reprendre un titre connu, sans avoir l’air d’y toucher. Le moindre accident de la vie courante devient ainsi une épopée : tombé en panne sur le bord de l’autoroute, Alain K chante « We can be heroes » et se filme (We can be heroes, en attendant la dépanneuse, film), ou commence une vidéo qu’il n’achèvera jamais parce que trop ivre (Tentative, film). Avec grâce et sans fausse pudeur il n’utilise pas sa vie pour « faire de l’art » mais révèle ce qu’elle a d’extraordinaire, de drôle, de tragique (Unseren Leben Ist 22 bars ou encore les 22 bars, performance et photographies), et s’il nous parle de solitude (Mon nouvel ami, photographie et films), de nostalgie (One two tree four five six seven eight, film, Guy et Geneviève, installation vidéo, Quand j'étais chanteur, photographie et tee-shirt), ou de mise en danger (Court circuit, film), c’est toujours avec humour et retenue. Peut-être parce que ses œuvres s’adressent à ses amis autant qu’à lui, Alain K aime à travailler avec d’autres. Avec ses proches d’abord (performances et installations réalisées avec Laurent Quénéhen et Monsieur Maill.et) mais aussi avec les travaux d’autres artistes contemporains qui apparaissent dans ses réalisations plus ou moins directement – ceux-ci faisant tout autant partie de sa vie en terme de quotidien. Des œuvres donc où il « s’inscrit » (série des « Ombres de moi-même »), qu’il se réapproprie (paroles de chansons célèbres reprises) ou détourne (dialogues du film « Les parapluies de Cherbourg » par exemple réenregistrés par d’autres protagonistes dans « Guy et Geneviève »). Tout ce qui traverse la vie d’Alain K est très naturellement associé à ses réalisations et ce n’est pas un hasard s’il fait régulièrement référence à sa vie passée de chanteur que ce soit dans ses films («One two tree four five six seven eight») dans ses photographies et jusque dans ses vêtements dans sa dernière réalisation intitulée «Quand j'étais chanteur». Ce travail, récemment exposé au salon Jeune Création 2003, se dissociait en une photographie où l’on peut lire « J’ai appris que Mick Jagger est mort dernièrement » taggué sur un mur du 13ième arrondissement, un polaroid, et… un tee-shirt noir où s’étalait en lettres brodées « Ma femme attendait, planquée, dans la Mercedes » ! Si l’art peut nous aider à vivre alors Alain K est artiste qui sait mieux que quiconque nous faire comprendre à quel point nos vies sont formidables.

Estelle Artus 2003