Art 5 : Il est interdit formellement de
donner de sa boisson à un tiers (même pour faire goûter), ou den verser dans les
plantes.
Art 6 : Il est interdit de conduire un
véhicule quel quil soit durant et après la performance.
Art 7 : Les coups à boire payés par un
tiers seront annotés 0,00 F sur la feuille de route.
Art 8 : Les photographies seront prises
par lun des trois protagonistes, lappareil orienté pour faire des clichés
verticaux.
Art 9 : Faudra pas le dire à ma
mère !
Art 10 : De ce matériel (66
photographies + 66 papillons remplis par les protagonistes) sera tiré un panneau de 60X80
à 4 exemplaires.
Art 11 : Chaque participant gardera par
de vers lui un exemplaire, le dernier sera vendu prix coûtant, soit le prix des
consommations, des taxis éventuels pour rentrer saoul à la maison et des matériaux
utilisés pour la confection des 4 panneaux.
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Les
22 bars par Alain K :
Le vendredi 15
octobre 1999
13 h 45 : Je suis dans le métro,
jai rendez vous avec Laurent et monsieur dans un quart dheure à
lEléphant du Nil.
Je suis partagé entre
linquiétude (est ce quon va y arriver ?) et le sentiment de me
préparer à entrer dans lhistoire.
14 h : Laurent arrive, on
sattable, il fait beau. Monsieur arrive le dernier. On commande, cest parti,
on boit. Le premier. On rempli la première case de notre feuille de route. On fait la
première photo. Moment émouvant.
18 h 40 : Nous sommes dans le
douzième bar, et là je commence à douter. Je vais pour la première fois apposer 3
étoiles dans la case taux dalcool. Au onzième bar, jai pris les photos des
deux autres dans le mauvais sens (ça je ne men suis pas encore rendu compte,
jai mon compte).
Nous avons des visiteurs qui nous
soutiennent. Pour linstant nous sommes dans les temps. On va peut être envisager de
ralentir le rythme.
21 h : Nous venons de faire un
break pour manger. Je ne vais pas mieux. Jai vomi un peu, et cétait très
bien (pour vomir, rien ne vaut un vieux chiotte crasseux à la turque dans un bar !).
On repart, allez, plus que sept bars, cest la dernière ligne droite !
0 h : Jen peux plus de la
bière ! Jen peux plus de boire ! Cest la première fois que je bois
de lalcool sans en avoir envie
Je viens de passer au GET 27 (cest joli
comme couleur à vomir).
1 h 44 :Ca y est ! On y est
arrivé, et sans tricher, nos enfants seront fiers de nous
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Les 22 bars par Laurent Quénéhen :
Je me disais que cela
nallait pas être facile : 22 bars, il faut se les farcir. Ce nest pas
que je nen aie point lhabitude, disons que je bois sans prévoir, tout du
moins sans prévoir la quantité que je vais boire. Il marrive parfois dans les cas
de hautes détresses de préparer quelques balises alcoolisées pour ne pas me sentir
blessé tout seul chez moi car cest bien connu : il ny a rien de mieux
que lalcool pour désinfecter les plaies. Mais ce jour là, ce vendredi là, puisque
cétait un vendredi, jallais boire sans être particulièrement angoissé,
jallais boire pour livresse, pour le voyage, pour la fuite, pour la liberté,
pour lart, pour létat de grâce
Il devait être dans les 14
heures lorsque je pris mon premier verre. Tout se passa bien ; je nai pas
lhabitude de boire si tôt mais tout se passa bien : Il faisait beau, nous
étions en terrasse, le barman était sympathique et des myriades de filles défilaient
devant nous en jeans serrés.
Le second bar : un bar
pd, paraît-il, pas trop remarqué. Continuons : nous voguions, moi et mes deux
acolytes, dune voile alerte, défiant la pesanteur, vers notre destin
alcoolisé ; laissant loin derrière nous les buveurs deau minérale. Au
détour dune rue sans vie, je veux dire sans bars, nous découvrîmes
lEldorado : un panel de troquets soffrait à nous. Nous étions dans une
des rues les plus achalandées du Marais.
Et de un, et de deux et de
trois et de quatre : la croisière des bières se déroulait sous un ciel empli de
bouteilles et nous sentions les regards admiratifs des piliers de comptoirs. Je
commençais à être gai et ce nest pas pour me vanter mais certaines personnes
habillées de cuir et de moustaches me regardaient parfois dun air doux. Le bateau
commençait à tanguer mais je ne me sentais pas encore prêt pour jeter lancre et
mamarrer à la première bite venue, comme dirait le Sieur Alain : on a sa
dignité.
Nous décidâmes dun
commun accord de barrer à tribord et nous filâmes vers dautres mers moins velues.
Lalcool me chauffait les neurones et des moussaillons nous avaient rejoints sur le
pont : il y avait un grand blond, une brune et une plus jeune mi-blonde mi-brune.
Cette dernière rappela à mon souvenir que mon amour mavait quitté et quil
fallait que je me débarrasse au plus tôt de la mélancolie latente qui me faisait
dériver. Elle sappelait Marie et je la trouvais plutôt marrante. Jappris à
mon grand désarroi qu elle navait que dix-neuf ans et que son petit
copain allait bientôt nous rejoindre. Nétant ni Joseph ni Juda, je pris le parti
de me concentrer sur notre expédition et de me boucher les oreilles lorsque
jentendrai de nouveau le chant des sirènes. Les quelques bars qui suivirent me
furent néanmoins difficiles : ma décision doublier le beau sexe
mattristait et mon chagrin, que jespérais noyer dans lalcool, apprenait
tranquillement à nager ; je savais dorénavant quil fallait que je fasse avec.
Heureusement que mes compères étaient là, la solidarité dans livresse engendre
de joyeuses alternatives : nous venions daborder une exposition de Boltanski
où nous tentâmes dengager une partie de cache-cache sous le regard affolé du
galeriste. Il nous fit comprendre que lart : " lAAARRRT,
voyez-vous ", eh bien, cétait pas pour rigoler. Nous étions en pleine
performance pacifiquement artistique et cet abruti endimanché craignait pour son image de
marque. Nous envoyâmes un de nos plénipotentiaires prouver par A + B au triste sir que
si le dénommé Boltanski eut été présent, il aurait sans doute souri. Ce qui,
entre-nous, métonnerait quand même. Mais rien ny fit et nous fûmes
prestement mis à la porte de son tabernacle. Cette histoire dart, eut malgré tout,
le don de me faire oublier mon histoire damour écourté. Nous poursuivîmes, toute
voile dehors, la découverte de nouveaux océans mousseux.
La nuit tombait, Bastille
soffrait à moi, tel un phare dans la nuit.
Le Lèche vin, les
Ferrailleurs, autant de noms mythiques qui me firent basculer, sans nul espoir de
retour, vers un tangage plus vrai que nature : des vapeurs de gueuze
memmenaient vers une mort subite et je fis naufrage entre Adel et Scott, non loin de
la rue de Lappe.
Je sentais mes entrailles se
déchaîner et je choisis de passer larme au vin. Ce fut du rouge, puis du blanc et
encore du rouge, la fin approchait, je pensais à ma mère et à son absence :
"ah ! Lamer
", comme dirait mon psy
Je tournoyais sur
moi-même mais une corde symbolique mattachait à mes comparses afin que je puisse
tenir le cap. Le sol se dérobait sous mes pieds et un vent de force 9 risquait à tout
instant de me faire chavirer, je priai le seigneur et la petite Marie de ne pas me laisser
errer au gré des flots. Une figure de proue de notre équipage gerba son sandwich dans le
water-closet et jimaginais une cascade de viande grecque avariée illuminer le ciel,
déjà bien étoilé, dun feu dartifice apocalyptique. Lil mauvais
de la barmaid me fit faire un détour périlleux pour soulager ma vessie.
Les deux derniers bars furent
pour moi la débandade complète, je ne savais plus à quel vin me vouer, joscillais
entre les mers du sud et la rue des martyrs : heureux damarrer mais encore à
fond de cale. Je me refis une mise en bière en compagnie dun pirate au long cours
qui avait abandonné son mioche à sa sirène. Étant devenu bizarrement moraliste en
cette fin de parcours, je faillis bel et bien me prendre une mandale. Par chance, une Miss
à la silhouette fine et aux talons hauts venait de nous rejoindre. Elle me sauva du
naufrage par un sourire à lintrus qui eut pour effet de lui faire oublier son
mioche, sa femme et moi-même.
Dernier bar, dernière danse,
dernier verre : la fin du voyage me redonna un semblant daplomb et je fis mine
de tenir la barre lors de notre arrivée au port. Une foule de jouvencelles
mattendait à quai, elles avaient les yeux mouillés démotion et le reste
aussi : javais vaincu le vin, la bière et louragan, jétais le roi
des mers, le chef des sioux, Dieu sur terre. Javais atteins létat de grâce
et je voyais des sampans dorés séloigner sur la mer de Chine, des chinoises
surfaient sur les vagues en menvoyant des baisers, jentendais des péruviennes
mappeler du haut de leurs montagnes et des africaines en goguette dansaient autour
de moi : jétais bel et bien complètement bourré.
Je rentrai dans mes pénates
en compagnie du capitaine du navire ; joyeux et repus comme ces vieux loups de mer
que lon voit refaire le monde dans les couloirs du métropolitain parisien, ohé,
ohé
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Les 22 bars par Monsieur Maill.et :
Nous sommes partis à laventure,
un voyage extraordinaire au cur de Paris. Cétait une journée ensoleillée
où les bistrots nous souriaient comme des putains. Puis, peu à peu les rues ont fondu et
la nuit est venue, belle comme le jour, chaude comme une saucisse et douce comme la peau
du cul de celle à qui je pense. Les baleines, les cochons et les coings nont jamais
été aussi bourrés que moi. Cétait chouette, javais une bonne excuse pour
faire les bêtises que jaime : tripoter les jolies filles, faire pipi en
marchant, des acrobaties sur les bouches de métro, dire bonjour aux passants, insulter
les galeristes, rire, roter, bâiller, péter, tousser, chanter, crier quand et où je
veux. Mes camarades et moi étions devenus les rois du monde, persuadés que nos
ivrogneries marquaient un tournant dans lhistoire de lart.