" Nous repensons l'espace populaire du bar sous la forme d'un vaste show room humain où le coude levé serait la figure mythique du Pélican pris dans une perspective shakespearienne, eh ouais ". MAL

Le 8 mai 2003 le groupe MAL arrosera d'un geste grave mais imprécis : la paix, l'amour, les cabinets et le temps qui passe. MAL vous convie à ce grand workshop alcoolisé dans le marais (entre la rue des archives et la rue du temple) où une tournée de 22 bars sera effectuée ce jour en hommage à la recherche plastique contemporaine, à la 1664 et à leurs dérivés.

"  Quoique ayant beaucoup lu, j'ai bu d'avantage. J'ai écrit beaucoup moins que la plupart des gens qui écrivent ; mais j'ai bu beaucoup plus que la plupart des gens qui boivent. [?.] J'ai d'abord aimé, comme tout le monde, l'effet de la légère ivresse, puis très bientôt j'ai aimé ce qui est au-delà de la violente ivresse, quand on a franchi ce stade : une paix magnifique et terrible, le vrai goût du passage du temps ".

Guy Debord, Panégyrique, Gallimard, 1993.

 Art. 1 : MM Maill.et, Quénéhen et K vont devoir dans le temps qu'ils jugeront nécessaire faire une tournée de 22 bars.

Art 2 : Une photographie de chaque participant sera prise à la fin de chaque consommation.

Art 3 : Obligation de boire une et une seule boisson alcoolisée dans chaque bar.

Art 4 : Chaque participant doit remplir à chaque bar, selon ses moyens physiques, une case de sa feuille de route en y indiquant :

• L'heure de la photo
• Le n° du bar
• Le nom du bar
• La nature de la consommation
• Le prix payé
• Son taux d'alcool évalué (échelle proposée : entre 1 et 3 étoiles)

Art 5 : Il est interdit formellement de donner de sa boisson à un tiers (même pour faire goûter), ou d'en verser dans les plantes.

Art 6 : Il est interdit de conduire un véhicule quel qu'il soit durant et après la performance.

Art 7 : Les coups à boire payés par un tiers seront annotés 0,00 F sur la feuille de route.

Art 8 : Les photographies seront prises par l'un des trois protagonistes, l'appareil orienté pour faire des clichés verticaux.

Art 9 : On peut le dire à ma mère (elle est au courant)

Art 10 : A intervalles réguliers, notre caméraman Gaëlle posera à chacun des 3 protagonistes la question qu'il aura décidé de se faire poser en début de parcours.

Art 11 : De ces interviews et du rest de ce qui aura été filmé seont tirés une ou plusieurs vidéos qui serviront à une exposition future.

IL ETAIT TROIS FOIES

Je me suis vu quand je bois

Dans une purée de pois

Je déambule comme une oie

Respectant la dure loi

Qui émoustille le foie :

Un verre 22 fois.

Alors bon, alors quoi ?

C'est la route de l'exploit

Le convoi qu'on voit

Est sur la bonne voie

On prend nos airs bourgeois

Mais la cervelle tournoie

On se la joue courtois

Mais on est maladroit

Le regard grivois

Et l'haleine de putois

Jettent comme un effroi.

Mais quand on boit, on est roi

Tout est permis, c'est la joie

Dans les bars, on aperçoit

Des filles en bas de soie

Qui nous mettent en émoi

On en reste coi.

Y'en a une qui déploie

Un charme de bon aloi

C'est ma femme, je crois

Pantois, j'suis sans voix

Le sexe droit, ma foi

Erigé comme une croix

Je me noie dans la joie.

Je m'égare, on louvoie

Et on s'en envoie

Un de plus, tous les trois

Alain, Laurent et moi

Tel est notre emploi

Alain, Laurent et moi

Tel est notre choix

C'est ainsi qu'on festoie !

Avoir la nostalgie d’un truc qu’on n’a pas vécu…

Je viens de visionner les K7 vidéo des 22 bars 2003. C’est pour moi une découverte, à partir du 13^ème bar je ne me souviens de rien. Quelques flash à peine.

Alors je suis un peu envieux de ce mec, là, qui est filmé, qui a une grande gueule, les yeux bleus et un double menton parfois. Il a une grande gueule, ça je le savais déjà. Il fait le fier devant la caméra, cabotine, mais il a globalement l’air plutôt sympa.

Ses deux potes aussi ils sont sympa, mais eux je les connais déjà. Et les autres autour qui les soutiennent, ils sont incroyablement à l’aise dans l’action. En fait ils sont tout bonnement en train de faire la tournée des bars !

Ouais, mais c’est les 22 bars !

Quand j’étais plus jeune, souvent, j’avais des poussées d’énergie, une sorte d’exaltation, je me sentais tout prêt de vivre des choses extraordinaires, et puis il ne se passait jamais rien de la sorte.

Alors j’étais frustré.

Et c’est pour ça que je buvais des soirs entiers, pour arriver à quelque chose d’extraordinaire. C’était bien sûr une illusion, la saoûlerie on le sait est bien ordinaire.

J’ai passé ainsi des années à vivre de cette frustration, à m’en nourrir.

Et puis j’ai chanté dans un groupe de Rock, mais les phases d’exaltations ne sont pas toujours en phase avec la musique. Avec le temps le chant s’est fait plus maîtrisé, la routine s’est installée.

J’ai donc arrêté de chanter.

Mais juste avant j’ai écrit une petite chanson, à partir d’une phrase même pas de moi.

Ma vie est formidable.

Et puis j’ai décrété que.

Ma vie est formidable.

Ce n’est pas un souhait, ni une constatation. Non c’est un programme.

Et c’est pas facile à tenir.

Des fois bien sur j’en ai marre, je ne me sens pas bien, j’ai l’impression de gâcher ma vie. Mais même dans ces moments là, pour rien au monde je ne changerai quelque chose.

Ma vie est formidable, c’est des hauts et des bas, c’est surtout pas le bonheur.

Le bonheur c’est plat, ça ne m’intéresse pas.

Ma vie est formidable, c’est un grand écart entre une solitude nécessaire et redoutée, et un besoin d’amour salutaire et redouté.

Et c’est pour cela que quand une jeune femme, en sortant d’un bar, m’embrasse tendrement et tout de suite après me dit doucement " casse toi ", je craque.

Et je l’aime.

Et je sais qu’elle va devenir la femme de ma vie pour au moins les trois semaines à venir.

Et c’est toute l’histoire de ma vie.

Et c’est tout le propos des 22 bars.

Voilà que ça recommence, un verre, deux verres, trois verres. J’ai du mal à boire cette fois ci, un peu malade, un peu sans motif, un peu, quoi. Les photos, oui, les photos, mince j’ai vieilli, ne pas regarder les photos numériques après la prise. Gaëlle, la future femme de Maill.et filme, elle a de jolis bas, Gaëlle, c’est sans doute qu’elle doit avoir de jolies jambes, Gaëlle. Penser à ne pas dire trop de conneries devant la caméra, les images ne veulent pas dire grands choses, mais les mots restent, surtout les gros.

Alain et Maill.et sont en pleine forme, il fait beau, c’est le 8 mai, la libération, le souvenir de tous ces types qui se sont fait débrancher pour la liberté c’est admirable et je bois un peu à leur santé. Magali et avec nous, elle a une belle descente, Magali.

Cinquième bar, Alain va retirer des sous, nouvelle confession, ouais, ne pas dire de connerie devant la caméra, je l’ai déjà dit, ça. Les pompiers d’en face matent Gaëlle et Mag., ils doivent se demander ce qu’elles font avec des pochtrons, enfin je ne sais pas si les pompiers pensent, enfin pensent vraiment, peut-être que oui, que dans le fond, pour sauver des vies, faut bien penser que ça en vaut la peine, de vivre.

Place Sainte Catherine, qui ne l’est pas tant que ça, c’est blindé de monde, il y a même Jonasz et Fugain qui causent ensemble, Mag. va chercher des autographes. Finalement tous les potes et la famille arrivent, Estelle en robe à cerises avec Ilia, le cousin et puis Sveta. Nathalie, la copine d’Emmanuelle et Emmanuelle donc. Mon frère qui revient des Iles et sa copine et la fille de sa copine et Delphine et Olivier et Esther et Stéphane et moi qui m’aperçois de loin en loin et la bière et le vin, encore un peu de sang dans l’alcool, juste une larme comme on dit.

Et avec tout ce beau monde on se fait un bar moitié juif moitié pd, le Cactus, je crois, un chouette rade avec une serveuse qui porte un ventre plat doré à l’or fin et un diamant au centre, son ventre est la représentation de la France libérée de la terreur et des buveurs d’eau minérale.

On continue vers l’Amnesia où un mec façon Têtu nous planque dans une salle minuscule à l’étage à cause des copines ; contrairement à ce que disait Quentin dans le film de Verneuil, la connerie n’est pas l’apanage du français moyen. Alors de bar en bar et de verre en verre, toujours plus loin, tel les chasseurs noirs errant autour d’Athènes avec l’espoir fou (l’espoir est toujours un peu fou) de devenir de braves hoplites, nous avançons vaille que vaille, un pas en avant, deux en arrières, dansant la sarabande des brunes et des blondes moussantes.

C’est ça la vigne comme disait mon petit frère Marc lorsqu’il avait 5 ans et que la pluie tombait sur l’été. Oui frangin, la vigne ne vaut rien, mais rien ne vaut la vigne.